dimanche 20 mai 2007

Suite

L'orateur est venu me voir à la fin de la réunion, très dramatique. Il m'a dit avoir bien connu Crisée (je suis sceptique). Il sait qu'il peut avoir confiance en moi (les yeux dans les yeux, en me touchant la main - il m'agace). Il vient de chez les Houchis (ah, là, je suis intéressée, et curieuse, j'avoue). Il faut qu'il me voit, il a des choses à me dire. Auparavant il veut mon avis sur leur projet.
Avant de réfléchir, je hausse les épaules et leur dis que c'est fumeux, d'ailleurs je n'ai pas entendu de projet, un projet c'est daté, organisé, il y a quelque chose, mais là on barbote dans le bla-bla.
Il se métamorphose; ses yeux brillent; il me prend la main; très tactile, ce garçon. Il voit en moi la marque de Crisée; Crisée avait raison.
Bon, moi, à trop entendre parler de Crisée mort depuis 13 ans, n'oublions pas que j'étais amoureuse de lui comme on l'est à 18 ans, je commence à me sentir très mal à l'aise. j'aurais voulu lui dire, noblement, des vacheries, l'envoyer promener, est-ce qu'on débarque dans la vie des gens pour leur balancer leur passé avec cette hystérie enthousiaste? Impossible. Gorge en bois, oreilles bourdonnantes, yeux qui brûlent, j'avais tout prévu sauf de me retrouver au bord des larmes dans un quartier sordide avec une poignée de conspirateurs en herbe, organisés comme des manches et vouant un culte à des "héros" morts. Je résiste. La fréquentation de mes chers frères m'a appris le contrôle de soi (toujours utile). Je me concentre sur tout ce qui m'entoure, je m'ancre dans la réalité, la charmante et délicieuse réalité. Mes pieds enfoncés dans le sol, j'en absorbe l'énergie, elle monte dans mes jambes, dans ma colonne vertébrale. Je sens, autour de moi, le bruissement discret mais curieux des conversations de ceux qui regardent leur nouveau chef (apparemment) parler avec la *** (comment me décrivent-ils? Crisée disait que nous n'avions aucune idée des pensées du petit peuple - je n'ai jamais osé en parler avec d'autres, du peuple, comme Hidda, par exemple). Je regarde mon interlocuteur, dans son intégralité : brun, teint clair, yeux clairs, plutôt grand, entraîné. Cela détourne mes pensées du flot qui allait les emporter. Je lui demande son nom : Jirèse. Je lui dis que s'il a quelque chose à me dire, on peut toujours se voir, mais que pour l'instant je n'ai rien vu. Et je m'en vais.
Je change de porte pour rentrer au palais, on n'est jamais trop prudent. Cette semaine, j'irais en secret dans la bibliothèque de la ville, histoire d'occuper mes espions, éventuellement. Dans les escaliers qui m'amènent jusqu'à mes étages, je mets à pleurer, avec exaspération. Crisée me remonte à la figure. C'est trop.

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